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Article de Hervé Aubron


Les Cahiers du Cinéma – décembre 2022

Recension de JE SERAI QUAND MÊME BIENTÔT TOUT À FAIT MORT ENFIN

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Article de Yannick Haenel


Paru dans l'édition 1455 du 10 juin 2020
 

ÉCOUTEZ-VOIR • LA MUSIQUE DES OISEAUX D'ISABELLE PRIM

 

On voudrait imaginer la totalité du monde : c'est un mur. Opaque, tramé d'interdits. Et dans ce mur, une fenêtre. J'ai rêvé que Dionysos entrait depuis ce trou, et bondissait dans notre monde avec des cris de volupté, recouvert de sa peau de faon, faisant couler le vin et allumant une jouissance ardente chez les hommes et les femmes.

Nous aurions bien besoin d'une bacchanale pour rompre cette interminable comédie psycho-sanitaire — pour couper court avec cette frigidité, ce puritanisme de la distanciation qui va tous nous noyer dans ses litres de gel-hydroalcoolique.

Bref, depuis le confinement, je me suis inventé une fenêtre et je fais venir des féeries. Parfois c'est une page blanche, parfois le visage d'une amie, parfois un chemin oublié en vélo, plein d'odeur de chèvrefeuille, parfois une ivresse de baisers. Éros jaillit de partout : visions, phrases, extases — c'est selon.

Cette nuit, c'est un petit film qui m'a rouvert la liberté des sens. Ça s'appelle La musique des oiseaux, réalisé par Isabelle Prim. Ca dure à peine 9 minutes et 11 secondes ; vous pouvez le voir gratuitement sur le site entre-temps.net ; c'est une splendeur.

On y voit un homme — l'excellent acteur Stéphane Freiss —, qui joue Simeon Pease Cheney, le premier compositeur à avoir retranscrit en musique le chant des oiseaux, en 1860-1890, donc un siècle avant Olivier Messiaen. Il est au piano et parle à sa fille, lui dit : « Écoute », lui dit : « Tu entends ? », lui apprend que les choses inanimées ont aussi leur musique : une porte qui grince, l'eau qui s'égoutte dans un seau à moitié plein. Il lui apprend à être minutieux avec les oiseaux, les sons, les délicatesses du dehors qui chacunes ont leur vie, leur esprit.

Une douce sauvagerie — une sauvagerie calme — anime ce père et sa fille, et leurs voix, leur piano, leurs oiseaux, leurs yeux qui cherchent, leurs oreilles qui guettent. Ils ont raison d'être qui ils sont, préservés grâce à la musique des choses sans importance, luttant contre l'enfer urbain des travaux, ouverts à la passion infinie des bruits du monde, à leur déchiffrement méticuleux, à la quête des oiseaux dans les arbres que la réalisatrice Isabelle Prim regarde depuis son appartement avec des jumelles d'opéra.

Et il est beau de la voir mettre ces jumelles sur la caméra : l'enfance, les yeux et les oiseaux ne faisant alors plus qu'un. Une partition-train s'envole, un cardinal à poitrine rose chante sur la branche d'un châtaignier à Paris, un père demande à sa fille de lui trouver l'engoulevent, il joue la musique des oiseaux et cette musique allume des bougies chaque année pour sa fille qui grâce au cinéma — à sa limpidité — devient à son tour un enfant-oiseau.

Écoute voir, c'est le programme de la poésie, l'éthique de l'amour, la politique des nuances. Quoi de mieux ?  

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Article d’Eric Loret
Libération du 5 mars 2013

POUR OLIVIER CADIOT, PRIM À LA QUALITÉ


L’auteur se démultiplie et prête sa voix à Gertrude Stein dans un film adapté de son Fairy Queen. "Double actualité du poète Olivier Cadiot, mais ce n’est pas sur papier. Un CD, tout d’abord, avec son complice Rodolphe Burger, Psychopharmaka, leur premier enregistrement depuis 2002 et Hôtel Robinson. Un film ensuite, d’Isabelle Prim, petite merveille d’invention cinématographique d’après le Fairy Queen de Cadiot (P.O.L., 2003), passé par la Berlinale et qui ira au festival du cinéma indé de Buenos Aires, puis dans d’autres, on l’espère.

Le film d’Isabelle Prim, intitulé Déjeuner chez Gertrude Stein, fait aussi beaucoup usage du son. Tout y est postsynchronisé : bruits monstrueux, voix de Gertrude interprétée par Olivier Cadiot, voix de la fée, tout est faux, sauf la voix d’Alice B. Toklas qui est en son direct car l’amante-cuisinière-éditrice de Stein est interprétée par… le chanteur Christophe. Normal, précise la réalisatrice, puisque Cadiot, dans Fairy Queen, décrit Alice comme «un serpent à moustache». Quand Christophe est au piano, le son enfin devient vrai. L’autre raison du père d’Aline, c’est que Prim l’a rencontré en étant monteuse sur les Mouvements du bassin de HPG, dont Christophe composa en partie la musique. Sa présence «était ainsi une nouvelle piste, explique Prim, et même mieux que cela, l’incarnation de ce “nouveau chant convoqué”dont Cadiot parle souvent à propos des mises en scène de ses livres au théâtre».

Le récit-drame de Cadiot, jadis porté à la scène par Ludovic Lagarde, raconte l’histoire d’une fée invitée à déjeuner chez l’écrivaine américaine. Elle doit faire aussi une petite danse, performance, réciter, on ne sait. Trac. Mais arrivée chez la prêtresse littéraire, déception : la prestation féerique sera pour une autre fois.

«A partir du moment où j’ai décidé d’adapter le livre, c’est dans cette position que je me suis mise moi-même : la position d’une jeune femme appelée à rendre des comptes en présentant son travail dans le plus beau des écrins, le salon de Gertrude, bien sûr, mais aussi, et d’abord, le livre de Cadiot. Celui-ci a bien voulu prêter sa voix à Gertrude Stein, interprétée par Isabelle Saint-Saëns. Tout au long de l’élaboration du film, et même s’il ne l’a découvert qu’une fois fini, Olivier Cadiot a été ma Gertrude Stein, mon surmoi. Ma vraie fée, aussi.»

Rythmique. La fée du film, quant à elle, est bizarrement montée sur roulettes et démesurée, glissant d’un plan à l’autre, se penchant dans l’appartement de Stein et Toklas comme une Alice au pays des vermeilles. Prim a su rendre la rythmique propre aux textes de Cadiot, accélération, inspiration, apnée, décélération, par des collages de mots sur l’image, des cadrages inattendus sans être flagrants et, on l’a dit, un travail sur la présence du son. Soit un équivalent filmique de ce que Cadiot fait à la fiction, une expérimentation qui laisse respirer la narration, mais «change» quand même un peu «le monde».

article de Laura Tuillier
Les Cahiers du Cinéma – n°698, mars 2014

Sur Le Souffleur de l'Affaire présenté dans sa version film/spectacle dans le cadre d'Hors Pistes au Centre Georges Pompidou le 25 janvier 2014.

 

article d’Isabelle Regnier

Le Monde – 15 juin 2010

“ (…) Dans Mademoiselle Else, adaptation du roman d’Arthur Schnitzler (une jeune fille sollicitant un prêt pour son père ruiné préfère se suicider plutôt que de se mettre nue), la jeune cineaste Isabelle Prim, qui joue le personnage principal, invente avec une virtuosité ébouriffante un équivalent cinématographique à la technique littéraire du flux de conscience. Sur un mode très ludique, proche du comic book, elle confond, parfois dans un même plan, le temps du roman et celui du tournage. Elle saute du passé au présent et inversement, du noir et blanc à la couleur, du super-8 à la photo, à la vidéo, orchestre un tourbillon mental jubilatoire, dans lequel le désespoir ne peut se concevoir sans un soupçon d’humour.”

 

Par Raphaël Nieuwjaer


Cronicart – 31 juillet 2014
cronicart.fr

Le Souffleur de l’affaire, d’Isabelle Prim, trouve son argument du côté du théâtre. L’histoire, véridique, est celle d’Ildebrando Biribo, le souffleur retrouvé mort dans sa boîte le soir de la première de Cyrano de Bergerac, le 28 décembre 1897. De ce fait divers, Prim s’ingénie à faire le trou noir par lequel une époque se donne dans toute sa mystérieuse épaisseur. Car s’entrelacent à cela l’affaire Dreyfus et ses caricatures antisémites, l’incendie du Grand Bazar de la Charité qui vit périr par les flammes du cinéma des dizaines de femmes de l’aristocratie, et le premier film colorisé de Méliès. C’est beaucoup, peut-être trop, mais rien encore. Ces faits ne sont que la pointe connue, l’écume historique, de ce qui se joue en coulisses ou sous la scène – une histoire d’amour entre Sarah Bernhardt et Edmond Rostand, le bouillonnement politique des exilés anarchistes italiens réunis à Paris, la complicité de Bernhardt et du souffleur. Et si Biribo avait donné ses mots à ce génie d’une accablante « francitude » qu’est Rostand ? « Et si », oui, mais par là il ne faut pas s’attendre à ce que se dessine un itinéraire balisé vers une résolution. Comme dans un roman-feuilleton, ou les écrits de Pynchon, c’est d’abord le cheminement entre des signes, des hypothèses, l’endroit et l’envers du monde, ainsi que les étincelles de sens nées de rapprochements inattendus, qui prévalent. Le jeu aussi est profondément, essentiellement, cinématographique. Le souffleur s’incruste (littéralement) à l’écran, commente et oriente l’action – se trouve parfois dépassé. Les images d’archive se tissent à la fiction, qui remplit moins les trous qu’elle ne les creuse. Et, avec une inventivité constante, les voix traversent le spectre de l’absence et de la présence (hors-champ, in / off, doublage). Comme dans ces plans où une bouche d’égout, dans un monde devenu scène, se fait la trappe du souffleur – idée brillante et malicieuse, à l’image du film. Une époque ainsi est soudain parlée par ceux qui en sont les oubliés, et néanmoins les inspirateurs.

article de Camille Brunel
Independencia – 1 mai 2013

idepencia.fr

Avec Déjeuner chez Gertrude Stein , Isabelle Prim signe la première « fiction expérimentale » de la sélection. C’est la première fois que je vois employée avec une telle verve la métaphore du fond vert, au cœur de la déflagration formelle des quinze première minutes où l’apparition du vert signale la venue prochaine d’une incrustation, pas encore mûre. On sent l’auteur ayant manipulé tant d’images (Prim a étudié au Fresnoy) qu’elle s’est fait une idée précise de celles qui restent, de montages inédits, d’enchevêtrements jusque là inimaginés. Il est question d’une fée bouleversant le quotidien d’un compositeur (Christophe). La forme de l’œuvre est elle-même assez violente, la majorité des scènes sont plutôt anxiogènes : l’image de la fée, au milieu de cela, paraît totalement déplacée – nouvelle manière de décontenancer le spectateur. Le premier verbe qui vient aux lèvres de Prim, lors de l’échange qui suit la projection, c’est « injecter ». Il faut quelque chose « qui injecte » : violence de la piqûre, mélanges brûlants. Injecter une fée dans de l’expérimental. Que rien ne soit homogène.

article de Simon Lefebvre

Revue Zinzolin – 13 juin 2013
www.revuezinzolin.com

... C’est la fée du Déjeuner chez Gertrude Stein (Isabelle Prim), une fée bien moins familière que ne l’était notre vampire tant elle est grande (elle se mange des portes trop basses pour elle) et pourvue d’un skate (je ne l’ai pas vu mais je l’imagine bien) plutôt que de gentilles ailes. Bien que sur roulettes, celle-ci va glisser devant, entre et dans les images, comme on papillonne, invitée pour on ne sait trop quelle raison, à manger d’appétissants burgers chez l’écrivaine. Occasion de croiser un visage connu, celui du chanteur Christophe « interprétant » ici Alice Toklas, l’amante de Getrud Stein. Oui mais non. Bien que cela soit dit, personne ne cherchera à nous faire croire ça et pour cause, le musicien fait à peu près tout ce qu’on connait de lui sans jamais devenir ou faire l’acteur. Si on le voit jouer, ce sera de la musique dans son appartement équipé de pianos, claviers, tables de mixage, jukebox. Gertrude Stein non plus ne sera pas « jouée ». Une dame est là et le personnage reste une hypothèse. Ce qui importe dans Déjeuner chez Gertrude Stein c’est d’atteindre un terrain inconnu en passant par un autre familier (entre images documentaires et chanteur populaire). Investir un nouveau territoire oui, mais ne pas chercher à aller loin, nulle part voir ce qui s’y trouve. Pour ce : écarter les images comme pour écarter les murs. Y mettre une fée un peu bancale que l’on suivra comme en se faufilant derrière elle. On se glisse ainsi dans les brèches, dans ce qu’elles génèrent d’espaces tordus, on colle ensuite, on fait se coïncider parfois. On cherche sans chercher un sens comme on souhaite emprunter une voie dégagée. De voix il est justement beaucoup question dans le film, dans une polyphonie tout aussi folle. On se souvient particulièrement de la voix d’un homme (absent à l’image), bavard, qui semble commenter et conseiller à la fois la fée et le film. Il parle et parle encore, livrant son petit truc pour faire une bonne béarnaise, donnant son humble avis (qui emmerde Christophe) sur les images. On est dans un espace trouble, entre le film et son commentaire, devant et dedans, exactement comme les green screens qui tapissent la maison sont autant des éléments bizarrement décoratifs que des écrans sur lesquels générer des images comme autant de brèches. Grande qualité du film, la fée navigue dans ces méandres sans inquiétude bien qu’elle semble un peu perdue. Sans être pour le spectateur un guide, elle en devient bien malgré elle son allié de choix. Elle va, vient, entre, ressort dans l’image ou devant elle, ne la fuit jamais. Nous la suivons sans peur. Elle se retire ici, agit là. Nous tâtonnons ensemble, moitiés paumés moitiés à l’aise. Nous découvrons un nouveau monde sans cadre, sans frontière. A Pantin, il serait facile d’imaginer Déjeuner chez Gertrude Stein parmi les films expérimentaux. Là-bas, on le verrait bien parmi les films dits de fiction. Cette fée-là devrait emmerder plus d’un vendeur de catalogue. Pour mémoire, ce film-là ne s’ouvre pas sur un tableau mais sur un téléphone que l’on démonte. Plus tard, il ne recadrera pas mais fera se confondre bruits d’insectes et bruits électroniques. Ça va buguer ! Avant d’habiter un territoire peut-être faut-il commencer par l’apprivoiser sans peur.

article de Mathilde Villeneuve
Zéro 2 - Revue d'art contemporain – hiver 2011

Article lisible ici :
http://www.zerodeux.fr/dossiers/isabelle-prim/

article de Renaud Monfourny
Le photoblog – 4 avril 2013

Adapté du Fairy queen du grand Olivier Cadiot, Déjeuner chez Gertrude Stein est une fiction expérimentale d’Isabelle Prim. Expérimentale car le son est presque tout en post syncro et qu’Alice Tolkas est interprétée par Christophe… Mais c’est aussi l’un des films les plus originaux du moment qui interroge à le fois l’adaptation d’un livre et le langage du cinéma...

Article d’Arnaud Hée & Camille Pollas

Critikat – 5 juillet 2010
critikat.com

" (…) L’autre grand étonnement de cette 20ème édition du Festival côté court de Pantin, est une adaptation d’un roman d’Arthur Schnitzler par Isabelle Prim. Mademoiselle Else suit les tourments d’une jeune fille qui doit se montrer nue à un vieil homme si elle veut qu’il concède un prêt à son père endetté. L’histoire est racontée par bribes plus ou moins obscures, avec du texte qui défile en sous-titres et à l’image comme au son un univers de bric et de broc, entre La Science des rêves, Luc Moullet et Shana Moulton, teinté d’idées noires et résolument kitsch. Indescriptible bazar de symboles et de signes où évoluent Isabelle Prim et Jean-Pierre Beauviala pour tous personnages. Parfois indigeste ou irritant, Mademoiselle Else constitue pourtant une manière absolument originale et réussie d’adaptation littéraire. Les deux lectures parallèles du texte et du film muet (les lèvres bougent parfois mais sont en fait à détacher des sous-titres) créent un troisième niveau dont la compréhension s’opère par paquets, jusqu’à faire entièrement passer cette histoire dans des installations plastique et vidéo. Un peu comme si le film était une exposition, et le texte des cartels pour relier les salles. Le roman devient, dans cette zone où l’Homme n’est plus qu’un objet remuant parmi d’autres, un monde en soi, où errent des automates malades de leurs choix."

article de Christophe Lemaire

Rock & Folk – juin 2013

"... Parmis les 23 œuvres en compétition, certaines sortaient du lot. Comme l'extrêmement étrange Déjeuner chez Gertrude Stein d'Isabelle Prim, incroyable exercice de style dont l'ambiance autre (effets de polarisation, bruitage décalé, montage barré, situations rocambolesque) fait que l'on peut être autant amusé qu'effrayé. Même si ce n'était pas le but premier de la réalisatrice qui - au passage - a bénéficié de la participation amicale du chanteur Christophe filmé chez lui devant son piano..."

article d’Isabelle Regnier

Le blog du Monde – 6 juin 2013

Les corps enchanteurs, dans Déjeuner chez Gertrud Stein, ce sont ceux de Camille Prim, la jeune fée sur roulettes qui se fait inviter à déjeuner rue de Fleurus, chez Gertrud Stein, d'Isabelle Saint Saëns, qui joue l'écrivain américaine, et deChristophe, le chanteur, qui se fond pour l'occasion dans le personnage d'Alice B. Toklas, l'éternel alter-ego. Les échos du Is dead, portrait de Gertrud Stein d'Arnaud des Pallières (qui faisait jouer Stein par Michael Lonsdale) résonnent, mais cette adaptation de Fairy Queen d'Olivier Cadiot met en branle la curieuse mécanique d'une  boîte à outil archaïcho-numérique très personnelle dont l'auteur, Isabelle Prim, telle une petite Alice aux pays des merveilles, aurait jeté la clé après avoir reconfiguré le monde à sa manière, en vous invitant à la suivre au fond d'un terrier pour la retrouver.

article de Luc Moullet
Bref Magazine numéro 96 – hiver 2011

" Mademoiselle Else de Isabelle Prim. Son père étant criblé de dettes, la jeune Else se dévoue pour demander un prêt au vieux Dorsday, qui accepte, si Else se met toute nue devant lui. Tempête sous le crâne d’Else, qui va choisir le suicide…

Le moyen métrage d’Isabelle Prim (née en 1984) suit la trame du roman Mademoiselle Else écrit par Arthur Schnitzler, en 1924, mais sous une forme éclatée. Les données fournies par le romancier sont réparties entre mille effets parfois étrangers au livre. Dans ce film qui se situe entre Furtado et Godard, difficile de parler de plans, car chacun d’eux est morcelé en d’innombrables sous-plans, glissements latéraux via de multiples surfaces noires, recadrages sur des fenêtres, caches et grilles, essaims dans le champ de petites surfaces avec extraits de films.

Prim donne de la chair au texte, une chair étrange et riche, extravagante. Une préciosité peut-être gratuite, mais qui, par son excès ahurissant, fait imploser les normes du jugement. On pense aux collages de Jean-Christophe Averty, à l’espièglerie sexuée des Petites marguerites, à Agnès Varda et à son travail de fourmi du montage, à Ruiz avec ses paroles sous-titrées lorsqu’aucun mot n’est dit, ses promenades d’un sujet à l’autre, à travers des phrases médianes diverses et des éclairs de lumière, grâce au savant travail de l’opératrice Alexandra Sabathé.

La virtuosité d’Isabelle Prim est née en partie des aléas du tournage, chutes de neige imprévues, rareté et petitesse des objets à montrer. La vidéaste sait tourner les embûches à son avantage. L’ego est au centre du film : l’interprète-réalisatrice, top-modèle futée, fin minois à la Louise Brooks, est presque de tous les plans. Vertigineux demeure son exhibitionnisme. Elle est folle de son corps. L’émotion est créée par la proximité d’éléments opposés, surfaces réduites de studio et immensité des extérieurs, porte-jarretelles et avion de tourisme, pruderie d’Else et sodomie incestueuse rêvée, cartoon et splendeur de la nature, partition et bruits cinglants amplifiés et arrondis décalés par rapport à l’image.

Ce magma cubiste, ce kaléidoscope, c’est à la fois l’Else “habsgourgienne” de Schnitzler, et, en concurrence, en contradiction, la réflexion d’une vidéaste-actrice délurée et hyper-moderne à partir de Schnitzler.”

article de Nathan Reneaud

Accréds – 11 avril 2013

On peut le trouver abscons, opaque. Déjeuner chez Gertrude Stein d’Isabelle Prim séduit pour son étrangeté, lynchienne par endroits, et son montage, ludique, inventif, riche en textures sonores. La Fée invitée à déjeuner chez Stein glisse littéralement d’un monde à l’autre. Elle a à sa disposition un fond vert. Une porte vers l’ailleurs, utilisée comme les trous portables dans le cartoon. Dans Déjeuner chez Gertrude Stein, un trio vocal donne à entendre une musique singulière, envoûtante, bien qu’on ait du mal à en saisir le sens. Cette musique est verbale. C’est celle de l’auteur Olivier Cadiot, passé par les mots de Stein pour son roman Fairy Queen - Déjeuner chez Gertrude Stein en est l’adaptation. Là encore, il y a glissement, déplacement : invisible à l’image, Cadiot parle pour l’écrivain, à sa place (parfois, on croirait entendre Vincent Lindon), il est Stein, Christophe fait plusieurs apparitions dans le rôle d’Alice Toklas, son amante et il est plus une voix parlée que chantée (toujours superbe et éthérée), Isabelle Prim prête son timbre doux et brillant à la fée interprétée par sa sœur (Camille Prim). Déroutant et hypnotique.

article de Jean-Paul Fargier

Turbulence vidéo - numéro 72 – été 2011

Autre totem des arts de nos contrées : Jean-Pierre Beauvialla. Créateur de caméras (Aaton) par désir de signer un jour un film totalement inédit puisque sa réalisation dépendra d’une caméra qui reste à inventer. Il fait le cow-boy dans un western grenoblois intitulé La rouge et la noire, un film de 74’, réalisé d’après un scénario de Luc Moullet par Isabelle Prim. Intrigue impossible à résumer, qui tourne autour d’une caméra prototype, aux pouvoirs magiques, que deux aventurières ont décidé de voler. La beauté de ce film tient à ses plans incertains, évoluant à la va comme je pousse mais toujours agréablement, acrobatiquement. Mais ces plans n’auraient pas autant de charme s’ils n’étaient constamment traversés par deux voix (mère, fille) comme deux aiguilles qui tricotent du sens avec des trous cousus de fil blanc. Le héros, pris dans ces mailles, passe sans cesse d’un âge à l’autre (des archives flottant dans les plis d’aujourd’hui) tandis qu’une maison en chantier évolue sans jamais s’achever, nommée « maison pleine de trous ». Résultat : une dentelle d’images qui construit une forme de paradis sur terre. Qui l’habite ne s’effacera jamais.

article de Pascale Cassagnaux

Art press 331  - 2007
à propos d'une performance de Ludovic Burel avec Isabelle Prim

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